Je me réveillai aux environs de midi. Armin dormait encore, son bras était toujours passé autour de moi. Nous n'avions pas bougé de la nuit. Je me surpris à l'admirer dormir, il était beau, réellement, objectivement, beau. J'avais énormément soif et besoin d'aller aux toilettes, mais je ne voulais pas risquer de le réveiller, alors qu'il dormait si paisiblement. Pourtant, au bout de quelques minutes, ne pouvant plus me retenir, j'essayai précautionneusement de me détacher de son étreinte. J'eus à peine bougé d'un pouce qu'il ouvrit les yeux. Lorsqu'il les posa sur moi, il sourit.

 

« Bonjour, articula-t-il.

  • Bonjour, tu as bien dormi ? demandai-je.

  • À merveille, et toi ?

  • Très bien, répondis-je, mais je meurs de soif, et j'ai un peu mal au crâne.

  • Moi, je meurs de faim. »

 

Cela ne m'étonnait guère. Je connaissais son appétit hors norme. Après être passée à la salle de bain et avoir pris une aspirine, je lui proposai d'aller déjeuner. Je m'aperçus qu'un véritable campement avait été édifié dans mon salon. Je comptais sept personnes encore endormies un peu partout : sur le canapé, sur un matelas gonflable, ou sur des matelas de fortune faits de couvertures, à même le sol. Laeti et Violette étaient, elles, éveillées, dans la cuisine, en train de grignoter des biscottes à la confiture, elles chuchotaient pour ne pas réveiller les autres. Je ne distinguais les cheveux rouges de Castiel nul part, il n'avait pas dû quitter la chambre d'amis. Laeti me fit un regard appuyé et plein de sous-entendus, allant d'Armin à moi. Je secouai la tête, pour lui dire qu'elle se faisait des idées. Il fallait que je lui raconte la conversation qu'on avait eu lui et moi, ses excuses et notre nouvelle amitié.

Je pris un bol et en donnait un à Armin, et sortis une boîte de céréales du placard, ainsi que le lait du frigo. Violette m'apprit que le téléphone fixe avait sonné à plusieurs reprises vers cinq heures du matin. Tristan avait fini par répondre, les voisins avaient demandé de couper la musique. Je paniquai :

 

« Ils n'ont pas prévenu la police au moins ? m'enquis-je.

  • Non, non, on a coupé tout de suite après que Tristan nous ait dit, me rassura Violette. Et on s'est couchés.

  • Oui, c'est là qu’Émilie et moi, on est montées pour dormir, vers cinq heures et demie, continua Laeti, avec un sourire machiavélique. Mais comme on ne voulait pas vous déranger, on a juste pris nos affaires. »

 

 

Au fil de la journée, chacun se réveilla à son tour, grignota quelque chose et se prépara à partir. Castiel resta à l'écart des discussions. Au contraire, Lysandre et Dake s'intégraient volontiers. Ce dernier semblait réellement craquer pour Laeti, ils s'échangèrent leurs numéros.

Le père des jumeaux vint les chercher en début d'après-midi. Au même moment, Lysandre, Castiel et Dake décidèrent eux aussi de s'en aller. Je les regardais s'éloigner par la baie vitrée du salon, alors, je vis Armin s'approcher de Castiel et lui dire quelque chose. J'eus peur d'une nouvelle altercation, mais Castiel fronça seulement les sourcils, ne répondit pas. Armin parla quelques secondes, puis Castiel tourna le dos et continua sa route.

Qu'avait bien pu dire Armin ? Mille hypothèses me vinrent en tête toute la journée.

 

Violette, Iris et Kentin nous aidèrent à tout ranger. Evan passa l'aspirateur et Tristan sortit les poubelles. Je racontai à Laeti et Émilie ma discussion avec Armin de la nuit passée tout en faisant la vaisselle, ainsi que ce que je venais de voir par la baie vitrée.

 

« Tu penses qu'il lui a dit quoi ? me demanda Émilie.

  • Je sais pas du tout, répondis-je. J'espère qu'il a pas aggravé les choses...

  • En disant que vous avez dormi ensemble ? renchérit Laeti.

  • Par exemple, acquiesçai-je. »

 

Une fois le nettoyage terminé, Iris proposa d'aller tous ensemble à la patinoire installée en centre-ville, avant de raccompagner Evan, Tristan, Laeti et Émilie à la gare. On loua tous des patins, et ce fut un joyeux n'importe quoi. Je passai plus de temps les fesses sur la glace que debout.

Puis, vint l'heure des « au revoir ». Laeti me prit dans ses bras et pleura à chaudes larmes, dramatiquement. Je pensai à ces films de guerre où les familles se quittent sur les quais de gare, en pensant ne jamais revoir leurs proches. Cela me fit sourire, et je rassurai mon amie :

 

« On se reverra aux prochaines vacances, Laeti, promis. »

 

***

 

Sur le chemin du retour, Kentin lâcha :

 

« Et on fait quoi mercredi ?

  • Mercredi ? s'enquit Iris.

  • C'est le trente-et-un mercredi, le réveillon, expliqua Kentin. Vous avez quelque chose de prévu ?

  • Ça m'était complètement sorti de la tête, fis-je. J'ai rien prévu.

  • Ils organisent quelque chose en ville, je crois, annonça Iris. Ils montent un chapiteau près de la patinoire. On pourrait passer voir à la mairie s'il faut s'inscrire ? »

 

L'hôtesse nous expliqua le déroulé de la soirée, et nous dit qu'il ne restait que quelques places. Elle précisa aussi qu'il n'y aurait pas de vente d'alcool aux mineurs. Au moins, je ne finirai pas la soirée dans le même état que la veille. On réserva pour six personnes, Kentin avait prévenu les jumeaux qu'il avançait le prix de leurs places.

 

Après avoir raccompagné tout le monde, je me retrouvai seule en centre-ville. Comme mes parents ne devaient rentrer que le lendemain, je me questionnai sur ce que j'allai manger le soir. Sushis, thaï, kebab ? Finalement, je décidai de passer au Subway. Je patientais dans la file d'attente quand une voix que je connaissais bien demanda derrière moi :

 

« Le Subway, c'est un remède contre la gueule de bois ?

  • Castiel ? fis-je en me retournant.

  • Tu t'es remise de ta soirée, fillette ? demanda-t-il avec un rictus amusé.

  • Ça va, j'ai un peu mal au crâne et hâte de rentrer au calme, et toi ? »

 

C'était notre plus longue conversation depuis notre rupture, à peine un mois auparavant. Je ne savais pas sur quel pied danser, cela faisait bizarre de se parler comme si de rien était.

 

« Pareil, dit-il simplement. »

 

S'ensuivit un silence gênant. Puis je passai commande, je restai un moment, mon sac à emporter dans la main, ne sachant pas si je devais attendre qu'il passe commande lui aussi, ou si je devais partir. Je m'en vais sans rien dire ? Je fais un signe de la main ? Ou j'attends pour lui dire « bonne soirée » ? Finalement, j'attendis qu'il fut servi lui aussi, nous sortîmes du restaurant sans se dire quoi que ce soit. Il me tînt la porte, je fis un sourire.

 

« Bon, bah... commençai-je, mal à l'aise.

  • Ouais, euh, fit-il. Tu veux qu'on mange ensemble ?

  • Euh, bredouillai-je, surprise. Pourquoi pas, oui.

  • Chez moi ? On est juste à côté, et après, je te ramène, si tu veux. »

 

Je n'avais jamais vu Castiel gêné jusqu'à présent. Il cherchait ses mots, passait sa main dans ses cheveux, ne me regardait pas dans les yeux... C'était déstabilisant. Je repensais à Armin lui parlant, juste devant chez moi, quelques heures plus tôt. Avait-ce un lien ?

 

La soirée était douce, le soleil était couché depuis quelques heures déjà. Nous traversâmes le parc, on entendait les gens s'amuser à la patinoire, ça sentait bon la gaufre. Arrivés au pied de son immeuble, il déverrouilla la porte et on monta, tout ça dans le plus grand des silences. Moi qui voulait du calme pour apaiser mon mal de crâne, j'étais servie.

Une fois entrés, il enleva ses chaussures et commença :

 

« Hum, au fait, c'était cool la soirée hier.

  • Oh, merci, c'est gentil, répondis-je

  • J'ai pas très bien agi, continua-t-il, genre, je t'ai même pas dit merci de l'invitation, et puis on est venus les mains vides.

  • C'est rien du tout, protestai-je, vraiment, t'as pas du tout besoin de t'excuser !

  • Ok, ok, fit-il en s'installant sur le canapé. Viens manger alors. »

 

 

Il déballa son sandwich, et moi le mien. J'avais une faim de loup, je ne pris même pas la peine de manger délicatement, je dévorais les trente centimètres de mon sandwich sans en laisser une miette.

 

« Moi qui pensais que tu m'en laisserais une bouchée, dit Castiel, l'air amusé.

  • Pas cette fois ! répliquai-je en riant. »

 

Castiel me dévisagea, il avait ce sourire à tomber qui me fait frissonner.

 

« Tu, commença-t-il. Tu as une miette sur la joue. »

 

Il m'effleura la joue de son pouce, y laissa sa main quelques secondes, puis détourna les yeux. Mes joues étaient en feu. Il se racla la gorge.

 

« Tu as fini ? demanda-t-il. Je vais mettre tout ça à la poubelle.

  • O-oui, bredouillai-je. »

 

Il se leva, et emporta les restes de notre repas dans la cuisine.

 

« Il commence à être tard, je te raccompagne chez toi, annonça-t-il en revenant dans le salon.

  • Oui, si tu veux, acquiesçai-je. Mais je peux rentrer toute seule, tu sais, tu n'es pas obligé de me ramener.

  • Je sais, je préfère, c'est tout. »

 

Il attrapa un casque et me le tendit, puis prit le sien. Je redoutais de me retrouver aussi proche de lui, de poser mes mains sur sa taille et de sentir son odeur parvenir jusqu'à moi.

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