Lorsque la pièce fut terminée, et après que le public eut applaudi durant plusieurs minutes, les lumières se rallumèrent. Je me levai rapidement, pour échapper au contact brûlant de mon voisin. Je pliai rapidement ma couverture, et sorti en évitant le regard d'Armin. Dehors, je pris une grande inspiration. L'air frais s’engouffra dans mes poumons, je sentis la panique me quitter.

Il était plus de vingt heures. M. Capet nous invita à nous ranger par deux devant le car, pour nous compter. Armin se posta près de moi, et posa sa main dans le creux de mon dos. Il me chuchota :

 

« Laisse-moi me mettre près de toi dans le car, s'il te plaît. »

 

Je hochai la tête sans dire un mot. Je montai dans le car, suivie par mon courtisan, qui mettait en doute mes sentiments. Alors que je me mettais sur la pointe des pieds pour poser mon sac dans les rangements au-dessus des sièges, Armin, qui était juste derrière moi, me le prit des mains et le rangea avec grande facilité. Il était tout contre moi. Mise mal à l'aise par cette nouvelle proximité, je me hâtai de m'asseoir sur le siège près de la fenêtre et bredouillai un « merci ». Armin posa également son sac, et s'assit à son tour.

 

« Sympa cette journée, dit-il.

    • Oui, la pièce était vraiment exceptionnelle, ajoutai-je. »

 

Après un court silence, Armin se tourna vers moi, il avait, pour la première fois depuis que je le connaissais, l'air gêné. Je commençai à paniquer, j'avais peur de ce qu'il pouvait me dire.

 

« Je voulais te poser une question, Iphi, commença-t-il, je pense connaître la réponse, même si j'essayais de l'ignorer...

    • Dis-moi, l'encourageai-je, avec appréhension néanmoins.

    • J'aime passer du temps avec toi Iphi, et aujourd'hui, enfin ce soir en particulier, j'ai senti qu'il se passait quelque chose entre nous deux... Dans la continuité logique des choses, et étant donné que tu me plais énormément, j'aurais aimé passer les trois prochaines heures à te prendre à nouveau la main, te caresser, et peut-être finir par t'embrasser. Mais avant ça, je voulais savoir, et ça, c'est ma question, Castiel et toi, est-ce-que vous êtes ensemble ? Ou bien est-ce-que c'est seulement des rumeurs ? »

 

J'avais l'impression d'avoir une montée de fièvre, à mesure qu'il eût parlé, je m'étais senti rougir, et avais fini par me cacher le visage entre mes mains, les coudes sur les genoux. J'étais tellement honteuse que ce soit lui qui finisse par me poser la question, alors que c'était à moi de lui dire que je n'étais pas libre, qu'il fallait qu'on arrête d'être aussi proches lui et moi. Armin attendait ma réponse, je me redressais pour le regarder.

 

« Oui, murmurai-je simplement.

    • Oui, vous êtes ensemble ?

    • Oui, répétai-je.

    • D'accord, dit-il froidement.

    • Je voulais te le dire, mais on avait choisi d'être discrets. Et puis, je savais pas vraiment comment aborder ça, continuai-je. Je savais pas ce que tu ressentais pour moi...

    • Arrête, me coupa-t-il, moi, je pense pas avoir été très discret. Enfin bref, laisse tomber. »

 

Il se leva alors, attrapa son sac, et alla s'asseoir dans le fond du car, avec Alexy et Kentin. Je restai là, honteuse et confuse. Je ne saurai expliquer ce que je ressentais précisément. Il avait raison, il s'était passé quelque chose entre nous deux ce soir-là. Lorsqu'il m'avait pris la main, j'avais su qu'il représentait plus qu'un ami pour moi. Pour lui, je n'avais jamais été qu'une simple amie, je me voilai la face, évidemment que lui n'avait pas été discret sur ces sentiments. Je savais que je lui plaisais, et je n'avais rien fait pour que cela cesse. Je tenais à lui, je n'avais pas envie qu'il s'éloigne de moi, j'avais envie qu'il serre à nouveau ma main dans la sienne. Mais cette situation était impossible, c'était cruel pour Armin, et pour Castiel.

Quelques secondes plus tard, ne me laissant pas le temps de réfléchir plus à ce que je ressentais, Iris vînt s'installer près de moi. Elle poussa la mèche de cheveux qui me tombait sur les yeux, et me demanda :

 

« Qu'est-ce qui se passe avec Armin ?

    • Rien, mentis-je.

    • Arrête, je vois bien qu'il y a quelque chose qui cloche ! s'écria-t-elle.

    • Vraiment, Iris, s'il y avait quelque chose, je te le dirais. »

 

Je rentrai chez moi peu avant minuit. J'envoyai un message à Castiel pour le prévenir que j'étais rentrée. Il me demanda si nous nous voyions le lendemain. Je lui répondis que je préférais qu'on se voit le dimanche. Je ne lui dis pas ce que j'avais prévu de faire le samedi. Car je n'étais pas encore sûre de moi.

 

Le samedi matin, je me levai plus décidée que je l'étais le soir en me couchant : il fallait que j'aille chez Armin, pour mettre les choses au clair. Je demandai à Iris de m'expliquer où les jumeaux habitaient, elle ne me posa pas de questions. Je pris le bus en début d'après-midi, il faisait froid et se mit à pleuvoir ; je suivais des yeux les gouttes de pluie glisser sur la vitre du bus. En descendant, je me pressai de trouver la maison d'Armin avant d'être trempée.

Je m’abritai sous le porche et sonnai. Une femme d'environ quarante ans, avec de longs cheveux frisés noirs m'ouvrit la porte.

 

« Bonjour ? fit-elle.

    • Bonjour madame, je m'appelle Iphigénie. Est-ce qu'Armin est là ? Il m'a invité à jouer à la console.

    • Oui, il est dans sa chambre. Entre, je vais le prévenir. »

Elle s'écarta pour que je puisse entrer et referma la porte derrière moi. Elle monta les escaliers pour se rendre à l'étage. Je l'entendis frapper à une porte et dire quelques mots. Quelques secondes plus tard, Armin descendit quelques marches, s'arrêta dans l'escalier, et me dit seulement :

 

« Viens. »

 

Je montai à sa suite. On entra dans sa chambre. Il s'assit sur son lit et me demanda à voix basse :

 

« Qu'est-ce-que tu fais là ? 

    • Tu m'avais invité pour qu'on joue ensemble, tu te souviens ? Eh bien, je suis là, répondis-je.

    • L'invitation tenait plus vraiment, répliqua-t-il. »

 

N'attendant pas qu'il m'invite à m'asseoir, je retirais mon manteau trempé et le posai sur le dossier de sa chaise de bureau, et m'assis sur cette dernière.

 

« J'avais envie de te parler, déclarai-je. Tu ne m'as pas laissé dire grand chose hier soir.

    • Il y avait rien de plus à dire, souffla-t-il, sur la défensive. Ça aurait été sympa de me laisser quelques jours de répit pour digérer.

    • Je suis désolée de t'avoir blessé, m'excusai-je, sincère. Je sais que j'aurais eu plus d'une occasion de te dire que j'étais avec Castiel, mais je n'ai pas eu le courage. J'avais peur que tu t'éloignes de moi.

    • Évidemment que je me serais éloigné, c'est normal ! Je vais pas continuer à te draguer, à te tenir la main, alors que t'es avec quelqu'un, s'énerva-t-il. Encore plus avec Castiel, si je me trompe pas, il a presque cogné un mec à la soirée de Lysandre, pour tes beaux yeux. J'ai pas envie que ça m'arrive, perso.

    • Et donc, on ne plus être amis ? Soufflai-je.

    • On est pas amis, trancha-t-il. »

 

Je fus désarçonnée par cette phrase. Même si j'en étais venue aux mêmes conclusions la veille au soir. Armin et moi n'étions pas amis. Depuis le début, Armin ressentait autre chose que de l'amitié pour moi. Était-ce aussi mon cas ? Est-ce-que je voulais vraiment de lui comme d'un ami ? Je me rappelais la danse que nous avions partagée deux semaines plus tôt, ma tête sur son épaule, ses mains sur mes hanches. Hier soir, ces frissons qui m'avaient parcourus alors qu'il m'avait pris la main.

 

« C'est vrai, tu as raison, conclus-je en me levant. Peut-être qu'on le deviendra, je l'espère.

    • Je n'en ai pas envie, pas pour l'instant, dit-il.

    • Je comprends, fis-je. »

 

Sentant les larmes me monter aux yeux, je me détournai, attrapai mon manteau et me dirigeai vers la porte.

 

« Attends, fit Armin. 

 

Il s'était levé et approché de moi.

 

    • Quand tu penseras à moi en tant qu'ami, souffla-t-il, j'ai juste envie que tu gardes ça en tête...

 

Il me prit par la taille, se colla à moi, et me donna un baiser brutal et passionné. Je sentis un frisson de désir me parcourir. Je l'enlaçai, le serrai encore plus fort contre moi, et lui rendis son baiser. Je sentais des larmes rouler sur mes joues. Je pleurais. Il s'écarta de moi, ses yeux d'habitude d'un bleu brillant, étaient sombres, bleu nuit, presque noir.

 

 

« T'as clairement envie qu'on soit amis, ça se voit, fit-il d'un rire sans humour.

    • Tais-toi, murmurai-je, en essuyant mes yeux et mes joues.

    • Va-t-en, avant qu'on fasse pire, dit-il en se détournant. »

 

Je ramassai mon manteau, que j'avais laissé tomber durant la scène, et sortis de la pièce en claquant la porte. Je courus pratiquement pour sortir de la maison, je ne croisai personne. Il pleuvait toujours. Je ne savais pas si c'étaient les gouttes de pluie qui roulaient sur mes joues, ou si j'avais recommencé à pleurer.

Retour à l'accueil